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France 2035 : Naviguer avec la double transition. Prospective sur l'impact de l'IA et de l'écologie sur l'économie, le travail et les compétences.

  • Photo du rédacteur: Benjamin Duplaa
    Benjamin Duplaa
  • il y a 4 jours
  • 27 min de lecture
France 2035_ IA et Transition Écologique, les Moteurs Jumeaux qui Redessinent l'Économie,

La France à la croisée des chemins

La France aborde la prochaine décennie à un point d'inflexion historique, confrontée à la convergence de deux forces de transformation d'une ampleur inédite : la révolution de l'intelligence artificielle (IA) et l'impératif de la transition écologique. Ces "moteurs jumeaux" ne constituent pas des tendances parallèles évoluant indépendamment, mais des forces interdépendantes et profondément intriquées qui s'apprêtent à reconfigurer les fondements de l'économie, la structure du marché du travail et les termes du contrat social français.


D'une part, l'IA promet des gains de productivité exponentiels, une redéfinition des chaînes de valeur et une automatisation croissante des tâches cognitives, bouleversant des pans entiers de l'activité humaine. D'autre part, la nécessité de décarboner l'économie et de s'adapter au changement climatique impose des contraintes nouvelles mais ouvre également des opportunités de réindustrialisation, d'innovation et de création de nouveaux métiers.


L'objectif de ce rapport est de fournir une vision prospective et étayée par les données les plus récentes, afin d'éclairer les décisions stratégiques des acteurs publics et privés à l'horizon 2035.


Il ne s'agit pas de prédire l'avenir avec certitude, mais de tracer les trajectoires les plus probables, d'identifier les points de rupture potentiels, de mettre en lumière les tensions et les synergies entre ces deux transitions, et de formuler des leviers d'action pour piloter cette mutation complexe. En s'appuyant sur une analyse exhaustive des données issues d'organismes de référence tels que l'INSEE, France Stratégie, la DARES, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et des sources sectorielles spécialisées, ce document vise à dépasser la simple juxtaposition des enjeux pour offrir une synthèse stratégique.


Il s'attachera à décrypter comment l'interaction entre le déploiement de l'IA et les exigences écologiques façonnera les secteurs économiques, les compétences requises, les statuts professionnels et les aspirations profondes des citoyens, dessinant ainsi les contours de la France de 2035.


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Partie 1 : Les moteurs jumeaux de la transformation : IA et transition écologique


La trajectoire de la France vers 2035 est propulsée par deux dynamiques fondamentales qui, bien que distinctes dans leur origine, sont désormais indissociables dans leurs effets. L'une est technologique, marquée par la diffusion rapide et disruptive de l'intelligence artificielle. L'autre est environnementale, dictée par l'urgence climatique et la nécessité de bâtir un modèle de développement durable. Comprendre la nature, l'ampleur et les interactions de ces deux moteurs est un prérequis indispensable à toute analyse prospective.


1.1. L'Irrésistible Ascension de l'Intelligence Artificielle


L'intelligence artificielle n'est plus un concept futuriste mais une réalité économique tangible dont l'adoption par le tissu productif français connaît une accélération exponentielle. Cette dynamique, soutenue par une stratégie nationale volontariste, redessine les contours de la compétitivité et de l'innovation.


État des Lieux de l'Adoption


L'intégration de l'IA dans les entreprises françaises a franchi un cap décisif. En 2024, 10 % des entreprises de 10 salariés ou plus déclarent utiliser au moins une technologie d'intelligence artificielle. Ce chiffre, bien que modeste en apparence, masque une croissance fulgurante de près de 70 % en une seule année, la proportion n'étant que de 6 % en 2023. Cette progression rapide positionne la France légèrement au-dessus de la moyenne de l'Union européenne, qui s'établit à 8 %. Toutefois, un écart significatif demeure avec les pays les plus avancés en la matière, à l'instar du Danemark où 28 % des entreprises ont déjà adopté l'IA, soulignant à la fois le chemin parcouru et celui qui reste à accomplir.   



Disparités Structurelles


L'analyse fine de cette adoption révèle des fractures importantes au sein du tissu économique. La taille de l'entreprise apparaît comme le principal facteur discriminant. Les grandes entreprises de 250 salariés et plus sont les pionnières de cette révolution, adoptant des technologies complexes et structurantes. Parmi elles, 58 % mobilisent des technologies d'apprentissage automatique (machine learning) pour optimiser leurs processus, analyser des données massives ou développer de nouveaux services. À l'inverse, les petites et moyennes entreprises (PME), bien qu'entrant dans la course, se concentrent sur des outils plus accessibles et à l'impact plus immédiat. Plus de 40 % des PME utilisatrices d'IA se tournent vers des technologies d'analyse de langage écrit, typiquement pour automatiser le service client, analyser des documents ou assister la rédaction.   


Cette divergence technologique se reflète dans les finalités d'usage. Toutes tailles confondues, les applications les plus courantes de l'IA concernent le marketing et les ventes (28 % des entreprises utilisatrices), la gestion administrative et les systèmes d'information. Ce constat suggère l'émergence d'une économie à deux vitesses. D'un côté, des grands groupes qui intègrent l'IA au cœur de leur stratégie pour transformer en profondeur leur modèle d'affaires et renforcer leur compétitivité mondiale. De l'autre, un vaste tissu de PME qui, faute de ressources, de compétences ou de vision stratégique, risque de se contenter d'une adoption plus superficielle, créant une "double fracture" : une fracture de productivité entre les entreprises, et par conséquent, une fracture de compétences et de rémunération entre leurs salariés.   

« L’histoire économique de la France a toujours été celle de ses révolutions industrielles. Celle-ci sera verte et numérique, ou elle ne sera pas. » — Conseil national de la refondation, 2025

La Stratégie Nationale (France 2030)


Consciente de ces enjeux, la France a mis en place une stratégie nationale pour l'intelligence artificielle particulièrement ambitieuse, intégrée au plan d'investissement France 2030. L'objectif affiché est de positionner le pays comme un des leaders européens et mondiaux de l'IA, en maîtrisant l'ensemble de la chaîne de valeur, des technologies souveraines à leur diffusion dans l'économie. Cet effort se matérialise par des investissements publics massifs, dépassant 2,5 milliards d'euros depuis 2018.   


Cette stratégie s'articule autour de trois piliers. Premièrement, le développement d'infrastructures de pointe, avec en figure de proue le supercalculateur Jean Zay, dont les capacités ont été multipliées par quatre en 2024 pour permettre l'entraînement de grands modèles de langage souverains. Deuxièmement, le renforcement de la recherche et de la formation, via la création de neuf "IA-clusters" d'excellence en 2024, le financement de 180 chaires et de 300 programmes doctoraux, et un objectif de former 100 000 étudiants et professionnels par an d'ici 2030, contre 40 000 actuellement. Troisièmement, la diffusion de l'IA dans l'économie, avec un programme visant à accompagner 400 PME et ETI dans leur adoption de solutions IA d'ici 2025.   


Les premiers résultats de cette politique sont probants. La France a gagné huit places en un an pour se hisser au 5ème rang mondial du Global AI Index en 2024. Cependant, cette stratégie volontariste se heurte à une tension de fond. Alors que l'État investit massivement, une part importante de l'opinion publique exprime des craintes : 68 % des Français souhaitent un ralentissement du développement de l'IA et 87 % se disent préoccupés par au moins un de ses risques potentiels. Cette méfiance pourrait constituer le principal frein au déploiement de la stratégie nationale. Sans un effort accru de pédagogie, de dialogue citoyen et de mise en place d'un cadre éthique et réglementaire clair et visible – un chantier engagé avec la désignation des autorités de surveillance du règlement européen sur l'IA  –, le leadership technologique français pourrait se heurter à un mur d'inacceptabilité sociale, ralentissant l'adoption et limitant l'impact économique escompté.   


Tableau 1 : Indicateurs Clés de l'Adoption de l'IA en France (2023-2024)

Indicateur

2023

2024

Analyse

Part des entreprises (10+ salariés) utilisant l'IA

6 %

10 %

Croissance de près de 70 % en un an, signalant une accélération de la diffusion.

Positionnement vs. Moyenne UE

-

France : 10 % UE : 8 %

La France se situe légèrement au-dessus de la moyenne européenne.

Adoption par taille d'entreprise (+250 salariés)

Non spécifié

Très supérieure

Les grandes entreprises sont les principaux moteurs de l'adoption.

Adoption par taille d'entreprise (10-249 salariés)

Non spécifié

Inférieure

Les PME/ETI accusent un retard relatif, malgré une forte progression.

Technologie IA dominante (+250 salariés)

Non spécifié

Machine Learning (58 %)

Focus sur des technologies complexes et transformatrices.

Technologie IA dominante (PME/ETI)

Non spécifié

Analyse de langage écrit (>40 %)

Priorité aux outils accessibles et à l'impact opérationnel direct.

Principale finalité d'utilisation (toutes tailles)

25 % (Marketing/Ventes)

28 % (Marketing/Ventes)

Le marketing et la relation client restent le premier cas d'usage de l'IA.

Sources : Insee, enquête TIC entreprises 2023 et 2024    



L'Écosystème d'Innovation


La stratégie nationale s'appuie sur un écosystème d'innovation privé dynamique et en pleine expansion. Le nombre de start-ups spécialisées dans l'intelligence artificielle a plus que doublé entre 2021 (502 start-ups) et 2025 (1 000 start-ups). Cette effervescence est alimentée par un financement croissant : les levées de fonds des start-ups françaises de l'IA ont atteint 1,4 milliard d'euros en 2024, soit près de trois fois plus qu'en 2018 (556 millions d'euros). Cet écosystème a déjà produit 16 "licornes" (start-ups valorisées à plus d'un milliard de dollars) en 2023, faisant de Paris le premier hub européen de l'IA générative et de la France la première destination en Europe pour les investissements étrangers dans ce secteur depuis plus de cinq ans.   



1.2. L'Impératif Écologique : Contraintes et Opportunités


Parallèlement à la vague technologique de l'IA, la France est engagée dans une transformation structurelle de son modèle économique, dictée par l'urgence climatique. Cet impératif, loin d'être une simple contrainte, redéfinit les conditions de la production, de la consommation et de l'innovation, et constitue le second moteur majeur de la prospective à l'horizon 2035.


Le cadre d'action


La trajectoire de la France est balisée par des engagements climatiques nationaux et européens ambitieux. L'objectif principal, inscrit dans le cadre de l'Accord de Paris et du Pacte Vert pour l'Europe, est de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 50 % d'ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990 (hors secteur de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie - UTCATF). Fin 2023, la France avait atteint une réduction de 31 % par rapport à 1990. Ce chiffre, bien que significatif, démontre que près de la moitié du chemin restant doit être parcourue dans les sept prochaines années, ce qui implique une accélération considérable du rythme de la décarbonation.   



Le Bilan énergétique et carbone


L'analyse du bilan énergétique et carbone de la France révèle les défis structurels à relever. En 2023, la production d'énergie primaire, qui a rebondi après les difficultés de 2022, reste très majoritairement assurée par le nucléaire (72 %). Les énergies renouvelables (thermiques, déchets et électriques) représentent collectivement 27 % de cette production, marquant une progression constante mais encore insuffisante pour atteindre les objectifs de diversification du mix énergétique.   


La structure de la consommation finale d'énergie met en lumière les secteurs où les efforts doivent être les plus intenses. Le secteur des transports est le premier consommateur d'énergie finale avec 34 % du total, suivi par le secteur résidentiel (28 %) et l'industrie (19 %). Cette hiérarchie se retrouve dans la répartition des émissions de GES : les transports sont responsables de 34 % des émissions nationales. Fait alarmant, il s'agit du seul secteur dont les émissions ont augmenté entre 1990 et 2023 (+3 %), en faisant la cible prioritaire et la plus complexe des politiques de décarbonation. En revanche, des progrès notables ont été réalisés dans l'industrie (-54 % d'émissions depuis 1990) et l'industrie de l'énergie (-55 %), démontrant qu'une décarbonation profonde est possible avec des politiques ciblées et des investissements technologiques.   


Tableau 2 : Objectifs Climatiques et Énergétiques de la France (Horizon 2030-2035)

Indicateur

Objectif (2030)

Situation Actuelle (2023)

Écart à combler

Réduction des émissions de GES (vs. 1990)

-50 %

-31 %

19 points de pourcentage

Part des ENR dans la production primaire d'énergie

Objectif variable (SNBC/PPE)

27 %

Accélération nécessaire

Émissions de GES par habitant (tonnes CO2​eq)

Non spécifié

6,5 t (2022)

Tendance à la baisse (-2,7 %/an depuis 2005)

Répartition des émissions par secteur (2023)




Transports


34 %

Secteur prioritaire, seul en hausse depuis 1990 (+3 %)

Agriculture/Sylviculture


20 %

Baisse de 18 % depuis 1990

Industrie & Construction


17 %

Baisse de 54 % depuis 1990

Bâtiments (Résidentiel/Tertiaire)


16 %

Baisse de 37 % depuis 1990

Industrie de l'énergie


9 %

Baisse de 55 % depuis 1990

 Sources : Ministère de la Transition Écologique, Citepa, SDES    



L'empreinte carbone réelle


L'analyse des seules émissions territoriales offre une vision incomplète de l'impact climatique de la France. L'empreinte carbone, qui inclut les émissions associées aux biens et services importés, dresse un portrait plus juste et plus préoccupant. En 2023, l'empreinte carbone moyenne d'un Français est estimée à 9,4 tonnes d'équivalent CO2​, un chiffre en baisse mais encore très éloigné des 2 tonnes compatibles avec les objectifs de l'Accord de Paris. De manière cruciale, 55 % à 56 % de cette empreinte sont liés aux importations.   


Ce chiffre met en évidence un paradoxe fondamental de la politique climatique française. La désindustrialisation des dernières décennies a eu pour effet mécanique de réduire les émissions sur le territoire national en "exportant" la production, et donc les émissions associées, vers d'autres pays. Par conséquent, une politique de réindustrialisation, même si elle se concentre sur des technologies "vertes", pourrait paradoxalement entraîner une augmentation des émissions territoriales à court et moyen terme (liées à la construction d'usines, à la consommation d'énergie, etc.), tout en contribuant à une réduction de l'empreinte carbone globale du pays en substituant des importations à forte intensité carbone par une production locale plus sobre. Ce constat impose un changement de paradigme dans le pilotage de l'action publique, qui doit évoluer d'une vision strictement territoriale vers une approche intégrée basée sur l'empreinte carbone complète, afin d'éviter les angles morts et de garantir la cohérence des politiques industrielles et environnementales.


Le numérique, un enjeu écologique


Enfin, les deux moteurs de la transition se rejoignent sur un point de friction : l'empreinte environnementale du numérique. La croissance exponentielle des usages numériques, amplifiée par le déploiement de l'IA qui requiert une puissance de calcul considérable, génère une consommation d'énergie et des émissions de GES croissantes. Cette réalité fait l'objet d'une surveillance accrue, notamment via des études menées par l'ADEME et l'ARCEP pour quantifier cet impact. La prise de conscience de cet enjeu a conduit à intégrer la notion d'une "IA frugale" et de confiance comme un axe stratégique à part entière du plan France 2030, visant à concilier innovation technologique et sobriété environnementale.   



Partie 2 : Le paysage économique et Industriel à l'Horizon 2035


L'interaction des forces de l'intelligence artificielle et de la transition écologique ne se contente pas de modifier les entreprises et les secteurs de manière isolée ; elle redessine l'ensemble du paysage économique français. Elle génère de nouvelles sources de croissance, impose une réindustrialisation stratégique et renforce le rôle d'acteurs économiques dont le modèle est particulièrement adapté aux nouvelles aspirations sociétales.

« La double transition n’est pas une crise à subir, mais un chantier à piloter : celui d’une réconciliation entre progrès technologique et justice environnementale. » — France Stratégie, note d’analyse 2035

2.1. Vers une Économie "IA-Compatible" et décarbonée

La double transition est en passe de devenir le principal moteur de la croissance et de la transformation économique pour la décennie à venir, créant de la valeur à la fois par l'optimisation de l'existant et par la création de nouveaux marchés.


Impact macroéconomique de l'IA


Les projections macroéconomiques sur l'impact de l'IA sont particulièrement optimistes. Les estimations convergent vers un gain de Produit Intérieur Brut (PIB) additionnel pour la France compris entre 250 et 420 milliards d'euros sur une période de dix ans. Un tel apport de valeur pourrait potentiellement doubler le taux de croissance économique annuel du pays. Ces gains proviendraient de multiples canaux : l'automatisation des tâches répétitives libérant du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée, l'optimisation des chaînes logistiques, l'amélioration de la R&D grâce à la modélisation, ou encore la personnalisation des services. L'IA générative, à elle seule, pourrait augmenter la productivité annuelle du travail de 1,5 point, un chiffre considérable dans un contexte de gains de productivité atones depuis plus d'une décennie.   



Impact de la planification écologique (PE)


Loin d'être un frein à l'activité, la transition écologique, telle qu'encadrée par la Planification Écologique (PE), est également projetée comme un puissant levier de croissance et d'emploi. Les modélisations du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) estiment que la PE sera créatrice nette d'emplois, avec un solde positif allant de +200 000 à +550 000 emplois nets d'ici 2030 dans les secteurs directement concernés. Ce chiffre global masque cependant d'importantes reconfigurations sectorielles, avec des destructions d'emplois dans les filières carbonées et des créations massives dans les filières vertes, ce qui nécessitera des politiques d'accompagnement robustes pour les territoires et les travailleurs en transition.   



Le marché du conseil en transformation


La complexité inhérente à cette double mutation a engendré un besoin massif d'expertise et d'accompagnement pour les entreprises, propulsant le marché du conseil. Le secteur du conseil en stratégie et management a ainsi enregistré une croissance de 12 % en 2023, après une année 2022 déjà très dynamique (+15 %). Au sein de ce marché, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est passée d'un sujet de niche à un segment stratégique majeur. Près de 80 % des entreprises françaises disposent désormais d'équipes dédiées à la RSE. Cette internalisation s'accompagne d'un recours croissant à des cabinets spécialisés pour naviguer un environnement réglementaire de plus en plus dense (directive européenne CSRD, loi Climat et Résilience) et pour intégrer la durabilité au cœur de leur modèle d'affaires. L'ensemble de ces services – conseil, formation, certification, accompagnement au changement – forme une nouvelle "économie de la transition". Ce méta-secteur, qui fournit les outils intellectuels et opérationnels de la transformation, est en passe de devenir l'un des principaux moteurs de la croissance des services à haute valeur ajoutée et sa vitalité sera un indicateur clé de la capacité de la France à réussir sa mutation d'ici 2035.   




2.2. La réindustrialisation verte et stratégique


Après des décennies de désindustrialisation, la France s'est engagée dans une stratégie de réindustrialisation qui vise à la fois à renforcer sa souveraineté économique et à aligner son appareil productif sur les objectifs de décarbonation.


Vision et Objectifs


Le Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan a formalisé cette ambition en élaborant plusieurs scénarios de réindustrialisation à l'horizon 2035. Ces scénarios explorent différentes trajectoires pour reconstruire des capacités productives dans des secteurs stratégiques (santé, numérique, énergie) tout en intégrant les contraintes et les opportunités de la transition écologique. L'objectif n'est pas de revenir à l'industrie du XXe siècle, mais de bâtir une industrie 4.0, numérisée, décarbonée et compétitive.   



Secteurs Prioritaires


La mise en œuvre de cette vision passe par la priorisation de certains secteurs clés. La planification écologique identifie des besoins d'investissement et de main-d'œuvre colossaux dans plusieurs domaines. La rénovation énergétique des bâtiments est l'un des chantiers majeurs, tout comme le déploiement des énergies renouvelables. L'économie circulaire est également appelée à jouer un rôle central, avec des projections de création d'environ 330 000 emplois dans les activités de réparation et de maintenance (notamment automobile) et de près de 100 000 emplois dans la collecte, le tri et le recyclage des déchets. En conséquence, les projections de France Stratégie anticipent un redressement de l'emploi dans l'industrie manufacturière et la construction, inversant une tendance baissière de long terme.   



Le Défi des Compétences


Le principal goulet d'étranglement de cette ambition industrielle est humain. Le succès de la réindustrialisation verte est entièrement conditionné par la disponibilité d'une main-d'œuvre qualifiée en nombre suffisant. Le rapport du SGPE sur la planification écologique est sans appel : il sera nécessaire de former 2,8 millions de personnes d'ici 2030 pour répondre aux besoins des secteurs prioritaires. De manière significative, 90 % de ces besoins concernent des employés et des ouvriers qualifiés, mettant en lumière l'enjeu crucial de la revalorisation et de l'adaptation de la formation professionnelle et technique. Sans un investissement massif et immédiat dans l'appareil de formation, le projet de réindustrialisation risque de se heurter à une pénurie de compétences structurelle.   



2.3. L'Économie sociale et solidaire (ESS), pilier de la cohésion


Dans ce paysage en pleine reconfiguration, l'Économie Sociale et Solidaire (ESS) émerge non pas comme un acteur périphérique, mais comme un pilier potentiellement central de la cohésion économique et sociale de la France de 2035.


Poids Économique


L'ESS constitue déjà un acteur économique de premier plan. Elle représente 10,7 % de l'ensemble de l'emploi salarié en France. Pour mettre ce chiffre en perspective, la masse salariale de l'ESS est 2,5 fois supérieure à celle du secteur de l'hébergement et de la restauration, et le secteur emploie 1,5 fois plus de personnes que celui de la construction. Des pans entiers de l'économie des services sont structurés par des acteurs de l'ESS : 30 % des hôpitaux, 60 % des dépôts bancaires (via les banques coopératives) ou encore une large partie du secteur de l'assurance (via les mutuelles).   



Rôle Social et Territorial


Au-delà de son poids économique, la spécificité de l'ESS réside dans son rôle social et son ancrage territorial. Ce rôle est particulièrement visible dans les territoires les plus fragiles. Dans les Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville (QPV), l'ESS est massivement surreprésentée : elle y pèse 17 % de l'emploi total (contre 10,4 % au niveau national) et 27 % de l'emploi du secteur privé. Les associations, qui constituent 88,6 % de l'emploi de l'ESS dans les QPV, y jouent un rôle fondamental dans des secteurs critiques comme l'action sociale (où l'ESS représente 67,8 % de l'emploi), la santé (via les centres de soin associatifs) et la culture.   


Cette forte implantation territoriale fait de l'ESS une infrastructure sociale essentielle. Les transitions économiques, par nature, créent des perturbations, des inégalités et des fractures territoriales, comme l'illustrent déjà les disparités régionales dans la couverture des besoins en formation pour la transition écologique. En étant présente au plus près des populations vulnérables et en se spécialisant dans les métiers du soin, de l'accompagnement et de l'insertion, l'ESS est idéalement positionnée pour jouer un rôle d'"amortisseur social". Elle peut contribuer à atténuer les chocs des restructurations industrielles, à accompagner les reconversions professionnelles et à maintenir le lien social dans les territoires les plus affectés. Soutenir son développement n'est donc pas seulement un enjeu sectoriel, mais un impératif stratégique pour garantir la résilience et la cohésion de la société française face aux mutations à venir.   



Un Modèle en Phase avec les Nouvelles Aspirations


Enfin, le modèle même de l'ESS, fondé sur la primauté de l'utilité sociale sur le profit, une gouvernance démocratique ("une personne, une voix") et un fort ancrage local, entre en résonance directe avec la "quête de sens" qui traverse la société française et redéfinit le rapport au travail. En proposant un modèle d'entreprise qui incarne ces valeurs, l'ESS est susceptible d'attirer de plus en plus de talents, en particulier les jeunes générations, et de servir de laboratoire pour de nouvelles formes d'organisation du travail plus durables et plus humaines.   




Partie 3 : Le Travail : aspirations, statuts et compétences


Les transformations économiques et technologiques induites par l'IA et la transition écologique se répercutent directement sur le monde du travail, provoquant une mutation profonde qui affecte non seulement les métiers et les compétences, mais aussi les aspirations des individus, leurs trajectoires de carrière et les statuts d'emploi.


3.1. Le sens et la réinvention des carrières


Un changement socioculturel majeur est à l'œuvre : le rapport des Français au travail est en pleine redéfinition. La dimension purement transactionnelle de l'emploi (un salaire contre un temps de travail) cède le pas à une recherche plus profonde d'alignement, d'utilité et d'épanouissement.


Un phénomène de masse


La quête de sens au travail est devenue une préoccupation centrale pour une écrasante majorité de la population active. Une enquête révèle que ce sujet est une préoccupation pour 92 % des actifs. Loin d'être une simple aspiration intellectuelle, cette quête se traduit par des intentions concrètes de changement. Un sondage de l'Anact indique que 4 actifs sur 10 envisagent de quitter leur emploi dans les deux ans à venir pour un poste davantage porteur de sens. Cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes, les femmes et les managers.   


Les motivations derrière cette quête sont multiples mais cohérentes. Le principal déclencheur, cité par 81 % des répondants, est le "besoin de cohérence avec leurs valeurs et convictions personnelles". Viennent ensuite le sentiment d'utilité (53 %) et la volonté d'avoir un impact positif (42 %). De manière significative, l'impact écologique du travail est une préoccupation pour 36 % des actifs aspirant à plus de sens, liant directement cette tendance de fond à la transition environnementale.   



La reconversion professionnelle, nouvelle norme


Cette quête de sens alimente un phénomène de fluidification des carrières sans précédent, où la reconversion professionnelle devient une étape normale du parcours de vie. Près de la moitié des actifs français (49 %) déclarent préparer ou envisager une reconversion professionnelle. Les données de la DARES confirment que cette mobilité n'est pas qu'une intention : sur une période de cinq ans, 22 % de la population active change effectivement de métier, que ce soit par promotion, formation ou reconversion complète.   


Les femmes sont au cœur de cette dynamique, représentant 50 % des personnes en reconversion. Leur motivation est souvent liée à la recherche d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ainsi qu'à des conditions de travail plus satisfaisantes. Ces chiffres témoignent de la fin progressive du modèle du "métier à vie". L'identité professionnelle n'est plus perçue comme un statut figé, mais comme une trajectoire dynamique que l'individu doit piloter activement.   



Le bien-être comme levier de performance


En conséquence, les attentes vis-à-vis de l'environnement de travail ont radicalement changé. Le bien-être au travail est désormais considéré comme une priorité par 46 % des salariés. Les entreprises qui ignorent cette dimension s'exposent à des difficultés croissantes de recrutement et de rétention. La reconnaissance au travail est jugée indispensable au bien-être par 84 % des salariés, et 28 % ont déjà quitté un emploi parce qu'il n'avait pas assez de sens ou d'utilité à leurs yeux. La corrélation entre bien-être et fidélisation est clairement établie : 85 % des salariés estiment que l'amélioration du bien-être renforce la loyauté envers l'entreprise.   


Cette évolution conduit à une forme de "consumérisation" de la carrière. Les actifs se comportent de plus en plus comme des consommateurs sur le marché de l'emploi, évaluant et choisissant une "expérience employé" complète qui va bien au-delà du seul salaire. Ils comparent les cultures d'entreprise, la flexibilité, les opportunités de développement et l'alignement avec leurs valeurs. Pour les entreprises, cela signifie que la marque employeur devient un actif stratégique aussi crucial que la marque commerciale, et que la capacité à offrir une proposition de valeur riche en sens et en bien-être est désormais une condition sine qua non de la performance à long terme.


Tableau 4 : Évolution des Aspirations Professionnelles des Actifs Français (2022-2025)

Indicateur

Donnée Clé

Tendance / Motivation

Préoccupation pour le sens au travail

92 % des actifs

Phénomène quasi-généralisé

Intention de changer d'emploi pour plus de sens (sous 2 ans)

40 % des actifs

Particulièrement forte chez les jeunes, les femmes et les managers

Envisagent ou préparent une reconversion professionnelle

49 % des actifs

Devient une étape normale du parcours professionnel

Part des femmes dans les reconversions

50 %

Souvent motivées par l'équilibre de vie et les conditions de travail

Principales motivations pour la quête de sens

1. Cohérence avec les valeurs (81 %) 2. Sentiment d'utilité (53 %) 3. Impact écologique positif (36 %)

Le rapport au travail devient plus personnel et éthique

Priorité accordée au bien-être au travail

46 % des salariés

Le bien-être n'est plus un "plus", mais une attente fondamentale

Impact du bien-être sur la fidélisation

85 % des salariés estiment qu'il renforce la fidélité

Le bien-être devient un levier stratégique de rétention des talents

 Sources : Audencia/jobs_that_makesense, Anact/Opinion Way, divers sondages    



3.2. L'Ère de l'indépendance et de l'accompagnement


La fluidification des carrières s'accompagne d'une transformation des statuts d'emploi, avec un essor marqué du travail indépendant et l'émergence d'un marché de l'accompagnement professionnel pour aider les individus à naviguer cette nouvelle complexité.


L'atomisation du travail


Le modèle du salariat à durée indéterminée dans une seule entreprise, bien que toujours dominant, est de plus en plus concurrencé par des formes d'emploi plus autonomes. Le travail indépendant connaît une attractivité croissante, en particulier auprès des jeunes générations. En 2022, 7 % des jeunes sortis de formation initiale depuis un à quatre ans étaient à leur propre compte, une proportion qui a doublé en l'espace de vingt ans. Cette tendance est soutenue par un dynamisme entrepreneurial très fort : plus d'un million d'entreprises ont été créées en France en 2023, un niveau historiquement élevé. Cette vague de créations est très largement portée par le régime du micro-entrepreneur, qui représente les deux tiers des nouvelles entreprises, facilitant l'accès à une activité indépendante avec des contraintes administratives allégées.   



L'explosion du coaching professionnel


Face à l'individualisation des trajectoires et à la complexité croissante des choix de carrière, un nouveau marché a émergé et connu une croissance explosive : celui du coaching professionnel. Ce marché, qui vise à accompagner les individus et les équipes dans leurs transitions, le développement de leurs compétences et l'atteinte de leurs objectifs, pèse aujourd'hui 750 millions d'euros en France. Il rassemble environ 15 000 coachs en activité et affiche une croissance annuelle soutenue de 10 % depuis 2020.   


Cette professionnalisation rapide s'accompagne d'un effort de structuration et de crédibilisation, notamment via la mise en place de certifications professionnelles reconnues par l'État. Le titre de "Coach Professionnel" est désormais enregistré au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP) au niveau 6 (équivalent Bac+3/4), garantissant un référentiel de compétences commun et un standard de qualité pour les clients. Les blocs de compétences définis dans ce référentiel couvrent l'ensemble de l'activité, de la création de la structure de coaching à la réalisation de la mission d'accompagnement, en passant par l'analyse des besoins et l'animation de sessions collectives.   



3.3. Les métiers de demain : entre émergence et transformation


La double transition IA-écologie agit comme un puissant reconfigurateur du paysage des métiers, en créant de nouvelles professions, en en transformant profondément d'autres, et en rendant certaines obsolètes.


Projections "Métiers 2030" (France Stratégie & Dares)


Les travaux prospectifs de France Stratégie et de la DARES ("Les métiers en 2030") permettent de quantifier les grands basculements à venir. D'ici 2030, les plus fortes créations nettes de postes sont attendues dans des secteurs directement liés aux grandes évolutions démographiques et sociétales. Les métiers du soin et de la santé (médecins, infirmiers, aides-soignants, aides à domicile) devraient générer 410 000 postes supplémentaires pour répondre au vieillissement de la population. La numérisation de l'économie continuera de tirer l'emploi dans les métiers de l'informatique et de la recherche (+180 000 postes).   


La transition écologique et la réindustrialisation se traduiront également par des créations nettes significatives dans les métiers du bâtiment (+120 000 postes, notamment pour la rénovation énergétique) et de l'industrie (+45 000 postes), marquant une inversion de tendance historique. Un scénario accéléré de transition "bas carbone" pourrait même ajouter 200 000 emplois supplémentaires à ce total, principalement dans la construction, la R&D et les activités de conseil.   


Tableau 3 : Projections de Création d'Emplois par Grand Secteur (Horizon 2030)

Grand Domaine de Métiers

Créations Nettes de Postes (Scénario de Référence 2019-2030)

Créations Additionnelles (Scénario "Bas Carbone")

Total Potentiel (Scénario "Bas Carbone")

Soin & Santé (médecins, infirmiers, aides à domicile...)

+ 410 000

Non spécifié

> 410 000

Informatique & Recherche

+ 180 000

+ 15 000

+ 195 000

Bâtiment & Construction

+ 120 000

+ 120 000

+ 240 000

Industrie

+ 45 000

Non spécifié

> 45 000

Conseil & Activités Juridiques

Inclus dans "Services"

+ 45 000

Non spécifié

Agriculture

Tendance à la baisse

+ 15 000

Tendance atténuée

Manutention

+ 135 000

Non spécifié

> 135 000

Source : France Stratégie & Dares, "Les métiers en 2030"    



Les Métiers Émergents (France Compétences)


Au-delà de ces grandes masses, France Compétences identifie chaque année une liste de métiers émergents ou en particulière évolution qui reflètent les transformations les plus pointues du marché du travail. La liste 2025 est une illustration parfaite de la double transition.   


Du côté de la transition numérique et technologique, on trouve des métiers comme le "Développeur blockchain", le "Product builder no code", le "Spécialiste en jumeau numérique" ou le "Superviseur de production virtuelle". Ces professions sont au cœur des nouvelles frontières de l'industrie 4.0, de la finance décentralisée et de la création de contenu immersif.   


Du côté de la transition écologique, la liste met en avant des métiers très concrets et techniques : "Contrôleur technique qualité des installations et équipements des énergies décarbonées", "Technicien de maintenance de batteries de véhicules électriques", "Technicien valoriste du réemploi" ou encore "Responsable green IT". Ces métiers sont les chevilles ouvrières de la décarbonation, de l'économie circulaire et de la mobilité électrique.   



L'Impact de l'IA sur l'Emploi


La question de l'impact de l'IA sur le volume global de l'emploi est complexe. Si les craintes de "grand remplacement" par les machines sont vives, les analyses économiques suggèrent un tableau plus nuancé. Au niveau mondial, le solde net d'emplois pourrait être positif, avec des projections évoquant 170 millions de postes créés contre 92 millions supprimés d'ici 2030. En France, on estime que 27 % des tâches professionnelles pourraient être automatisées à cet horizon, mais que seuls 5 % des emplois seraient directement et entièrement remplaçables.   


L'enjeu principal n'est donc pas tant la destruction massive d'emplois que la transformation profonde et généralisée des métiers existants. L'IA agit comme un automate de tâches, et non de métiers. Cela signifie que la plupart des professionnels verront une partie de leur activité (les tâches les plus routinières et prédictibles) automatisée, les obligeant à se concentrer sur les tâches non-automatisables qui requièrent créativité, intelligence émotionnelle, sens critique, collaboration complexe et empathie. Cette réalité fait de la "capacité à apprendre" et à s'adapter en continu la méta-compétence la plus cruciale pour l'employabilité en 2035. Le paradigme du "métier" stable, appris une fois pour toutes, s'efface au profit d'un modèle où chaque individu doit gérer activement son "portefeuille de compétences", le mettre à jour, l'enrichir et le recomposer tout au long de sa vie professionnelle.


Partie 4 : Le défi des compétences : former pour l'avenir


La réussite de la double transition et l'adaptation du monde du travail aux nouvelles réalités reposent sur un pilier fondamental : la capacité de la France à former, requalifier et faire monter en compétences l'ensemble de sa population active. Le défi est immense et nécessite une transformation profonde de l'appareil de formation, tant initiale que continue.


4.1. La révolution de la formation continue et du "Reskilling"


Face à l'accélération de l'obsolescence des compétences, la formation continue n'est plus une option mais une nécessité vitale pour les individus comme pour les entreprises. Cette prise de conscience a entraîné une explosion de la demande et une transformation des modalités de formation.


L'essor du digital learning


La technologie est au cœur de cette révolution. Le marché mondial de l'e-learning connaît une hypercroissance, avec des projections de valeur atteignant 325 milliards de dollars d'ici 2025. La France n'est pas en reste : 95 % des entreprises utilisent désormais des outils numériques dans leurs programmes de formation. L'impact sur les pratiques individuelles est spectaculaire, notamment via le Compte Personnel de Formation (CPF). En 2022, 52 % des formations financées par le CPF se sont déroulées à distance, une proportion qui n'était que de 6 % trois ans plus tôt, en 2019. Le présentiel, qui représentait 84 % des formations CPF en 2019, est tombé à 31 % en 2022.   



Motivations et freins


Du point de vue des entreprises, les motivations pour adopter le digital learning sont avant tout économiques et logistiques. Une enquête montre que 63 % des entreprises l'utilisent pour réduire ou optimiser les coûts de formation, et 54 % pour pouvoir déployer des actions de formation à plus grande échelle. Cependant, la mise en œuvre se heurte à des obstacles qui ne sont pas technologiques, mais humains et organisationnels. Les principaux freins cités par les responsables formation sont le manque de temps pour développer des contenus (20 %) et le manque de compétences internes en ingénierie pédagogique numérique (17 %).   



L'Importance de l'humain


L'analyse de l'efficacité du digital learning révèle un paradoxe crucial. Alors que la technologie permet une diffusion massive et flexible des contenus, son efficacité en termes d'apprentissage et d'engagement s'effondre sans un accompagnement humain. Les données sur les taux de complétion des formations en ligne sont sans appel : 65 % des dispositifs qui incluent un tutorat ou un accompagnement humain affichent un taux de complétion supérieur à 60 %. À l'inverse, 58 % des dispositifs entièrement auto-portés, sans aucun suivi humain, ont un taux de complétion dramatiquement bas, inférieur à 10 %.   


Ce constat démontre que la technologie seule ne suffit pas à résoudre le défi des compétences. L'efficacité de la formation en 2035 reposera sur des modèles hybrides (blended learning) qui combinent la puissance des outils numériques pour la diffusion des savoirs théoriques avec l'irremplaçable valeur ajoutée de l'interaction humaine pour la motivation, la personnalisation, la mise en pratique et l'ancrage des compétences. L'investissement dans les "métiers de la pédagogie" (formateurs, tuteurs, coachs, ingénieurs pédagogiques) sera donc aussi stratégique, sinon plus, que l'investissement dans les plateformes technologiques (LMS).


4.2. Adapter la formation Initiale aux besoins de 2035


Si la formation continue est essentielle pour adapter la main-d'œuvre existante, la formation initiale (scolaire, apprentissage, enseignement supérieur) a la responsabilité de préparer les nouvelles générations aux compétences qui seront requises en 2035.


Le défi de l'adéquation


Un décalage persistant existe entre les compétences produites par le système éducatif et les besoins réels de l'économie. Une enquête de 2024 révèle que 44 % des Directeurs des Ressources Humaines (DRH) en France éprouvent des difficultés à faire coïncider l'offre de formation disponible avec les besoins en compétences de leur entreprise. Les rapports sur la planification écologique insistent sur l'urgence d'actualiser en profondeur les référentiels des diplômes et des certifications, et d'adapter les contenus des formations initiales pour y intégrer les compétences de la double transition.   



Compétences transversales


La préparation aux métiers de demain ne peut se limiter à l'acquisition de compétences techniques spécifiques (savoir coder en Python, savoir installer une pompe à chaleur, etc.), aussi importantes soient-elles. La nature même du travail à l'ère de l'IA, qui automatise les tâches routinières, rend les compétences transversales, ou soft skills, plus précieuses que jamais. La capacité à collaborer, à communiquer efficacement, à faire preuve de créativité pour résoudre des problèmes complexes, à exercer son esprit critique et, surtout, à s'adapter en permanence, deviennent le socle de l'employabilité durable. Ces compétences, qui sont au cœur des approches d'accompagnement comme le coaching , doivent être intégrées de manière systématique dans tous les cursus éducatifs.   



Formation aux enjeux de la transition


Enfin, un objectif transversal majeur est de garantir que tous les futurs actifs, quel que soit leur secteur d'activité, possèdent une culture générale solide des enjeux de la transition écologique. Comme le souligne le rapport du SGPE, tous les secteurs étant impactés à terme, tous les actifs devront être formés à des degrés divers à ces enjeux. Cela implique une "verdissement" de l'ensemble des programmes de formation, de l'enseignement professionnel à l'université, pour que chaque futur professionnel comprenne l'impact de son activité sur l'environnement et soit en mesure de contribuer à la transformation de son secteur.   



Synthèse prospective et leviers d'action pour 2035


L'analyse prospective menée dans ce rapport dessine les contours d'une France en 2035 profondément remodelée par les forces conjointes de l'intelligence artificielle et de la transition écologique. Cette double transition, loin d'être une simple mise à jour technologique ou une contrainte environnementale, agit comme un principe de réorganisation global de l'économie, du travail et de la société.


5.1. Scénario d'une France en 2035 : Une vision Intégrée


À l'horizon 2035, l'économie française sera caractérisée par une hétérogénéité croissante. D'un côté, des secteurs de pointe, fortement capitalistiques et intégrés dans les chaînes de valeur mondiales, auront pleinement adopté l'IA pour optimiser leur productivité et leur capacité d'innovation. De l'autre, un tissu dense de PME et de services de proximité devra encore naviguer sa transformation, créant un risque de polarisation économique et sociale. Les modèles d'affaires seront universellement contraints par des impératifs de durabilité, non seulement réglementaires (prix du carbone, normes d'écoconception) mais aussi commerciaux, la performance extra-financière étant devenue un critère de compétitivité et d'accès aux marchés. Une "économie de la transition" se sera consolidée, offrant des services à haute valeur ajoutée pour accompagner cette mutation complexe.

Le monde du travail sera plus fluide, fragmenté et individualisé. La carrière linéaire aura largement laissé place à des parcours multiples, faits de reconversions, de périodes de formation et de changements de statut. Le travail indépendant et le multi-salariat seront des modalités courantes, augmentant l'autonomie mais aussi la précarité de certains actifs. La responsabilité de l'employabilité se sera déplacée de l'entreprise vers l'individu, sommé de gérer son "portefeuille de compétences" comme un actif stratégique. En réponse à cette individualisation, le besoin d'accompagnement et de cohésion sera plus fort que jamais. Le marché du coaching et de la formation continue sera mature et structuré, tandis que l'Économie Sociale et Solidaire jouera un rôle crucial d'amortisseur social et de pourvoyeur de sens, notamment dans les territoires les plus fragilisés par les transitions. Le contrat social devra être repensé pour s'adapter à cette nouvelle réalité, avec des systèmes de protection et de formation plus agiles et mieux adaptés à la discontinuité des carrières.


5.2. Leviers d'action pour une transition réussie


Pour naviguer cette transformation complexe et en faire une opportunité de développement durable et inclusif, une action résolue et coordonnée des pouvoirs publics et des entreprises est nécessaire.


Pour les Pouvoirs Publics :


  1. Piloter par l'empreinte complète : Refonder les indicateurs de la politique économique et environnementale pour dépasser la seule mesure des émissions territoriales et intégrer l'empreinte carbone complète, incluant les importations. Cela permettra d'aligner les politiques industrielles, commerciales et climatiques et de piloter une réindustrialisation véritablement vertueuse pour la planète.

  2. Créer un "choc de compétences" : Lancer un plan national d'investissement massif dans la formation tout au long de la vie, axé sur la double compétence (Numérique + Écologie) et sur les compétences transversales. Cela passe par une réforme du CPF pour mieux cibler les besoins de l'économie de demain, un soutien public massif aux dispositifs de tutorat et d'accompagnement pour garantir l'efficacité des formations, et une modernisation accélérée des référentiels de la formation initiale.

  3. Soutenir l'économie de la cohésion : Reconnaître l'ESS comme une infrastructure sociale d'intérêt stratégique et mettre en place une politique de développement ambitieuse (accès aux marchés publics, soutien à l'investissement, simplification administrative) pour renforcer son rôle de stabilisateur social et de créateur d'emplois locaux et non délocalisables.

  4. Bâtir la confiance numérique : Accélérer la mise en place d'un cadre de régulation de l'IA qui soit à la fois pro-innovation et protecteur des droits fondamentaux. Une régulation lisible, éthique et démocratiquement débattue est la condition sine qua non de l'acceptabilité sociale de l'IA et, in fine, de son déploiement réussi dans l'économie et la société.


Pour les Entreprises :


  1. Repenser la proposition de valeur employé : Passer d'une logique de gestion des ressources humaines à une stratégie de l'expérience employé. Intégrer le sens, la flexibilité, le bien-être et les opportunités de développement personnel au cœur de la politique RH pour attirer et retenir les talents dans un marché du travail "consumériste".


  2. Devenir des "organisations apprenantes" : Faire de la formation continue non plus une dépense ou une obligation, mais un investissement stratégique permanent. Mettre en place une culture de l'apprentissage continu en favorisant des modèles de formation hybrides, en valorisant le tutorat interne et en donnant aux salariés le temps et les moyens de maintenir leur "portefeuille de compétences" à jour.


  3. Intégrer la double transition au cœur de la stratégie : Cesser de considérer l'IA et la RSE comme des fonctions supports ou des centres de coûts. Les intégrer pleinement au cœur de la stratégie business, en les utilisant comme des leviers d'innovation pour créer de nouveaux produits, services et modèles d'affaires durables et compétitifs pour le monde de 2035.

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