Vers l'hybridation de la formation et les opportunités d'enlever les freins à l'emploi

Benjamin Duplaa
24 avr.
5 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 mai

La formation à la croisée des chemins

Dans un monde caractérisé par des mutations technologiques et sociales rapides, la formation professionnelle se trouve à un carrefour décisif. L'hybridation des modalités d'apprentissage, combinant présentiel et distanciel, synchrone et asynchrone, émerge non seulement comme une réponse à la digitalisation de notre société, mais aussi comme un levier potentiel pour lever les obstacles historiques à l'insertion professionnelle. Cette évolution paradigmatique de la formation mérite une analyse approfondie, tant dans ses fondements épistémologiques que dans ses implications pratiques sur l'accessibilité à l'emploi.

Les fondements épistémologiques de l'hybridation formative

L'hybridation de la formation ne constitue pas simplement une innovation technique, mais représente une véritable révolution épistémologique dans notre conception de l'apprentissage. En transcendant la dichotomie traditionnelle entre présentiel et distanciel, elle s'inscrit dans une perspective constructiviste qui reconnaît la nature plurielle et contextuelle de l'acquisition des connaissances.

Les travaux de Vygotski sur la zone proximale de développement trouvent ici une résonance particulière : l'apprenant progresse optimalement lorsqu'il navigue entre des espaces d'autonomie et des moments d'interaction guidée. L'hybridation permet précisément cette alternance entre autodidaxie numérique et socialisation formative en présentiel, créant ainsi un continuum d'apprentissage qui respecte les rythmes cognitifs individuels tout en maintenant une dynamique collective.

Cette approche rejoint également les théories de l'énaction développées par Francisco Varela, selon lesquelles la connaissance émerge de l'interaction entre l'individu et son environnement. L'hybridation, en multipliant les interfaces d'interaction (plateformes numériques, espaces physiques, communautés d'apprenants), enrichit considérablement le potentiel d'émergence cognitive.

Les modèles d'hybridation et leur impact sur l'accessibilité

Les modèles de formation hybride se déclinent selon plusieurs architectures qui répondent à différents besoins et contraintes. Comme le souligne LinkedIn Learning, plusieurs types de modèles existent :

La formation en rotation (ou semi-présentielle) qui permet aux apprenants d'alterner entre sessions en présentiel et cours en ligne selon un calendrier précis.
La formation "flex" qui offre une liberté de choix quant au jour, à l'heure et au lieu d'apprentissage.
Le modèle virtuel d'apprentissage enrichi qui complète des cours présentiels obligatoires par des contenus en ligne visant à approfondir les acquis.
Le modèle à la carte qui laisse à l'apprenant le soin de choisir la modalité qui lui convient le mieux.

Cette diversité de modèles constitue un puissant levier pour transformer l'accessibilité à la formation, agissant ainsi sur plusieurs dimensions des freins à l'emploi :

Accessibilité géographique : En s'affranchissant partiellement des contraintes spatiales, la formation hybride permet aux personnes éloignées des centres urbains ou confrontées à des difficultés de mobilité d'accéder à des parcours qualifiants sans déracinement complet.

Accessibilité temporelle : La flexibilité chronologique introduite par les séquences asynchrones permet de concilier formation et autres impératifs (familiaux, professionnels), particulièrement déterminante pour les parents isolés, les aidants familiaux ou les personnes en reconversion professionnelle.

Accessibilité cognitive : La diversification des modalités pédagogiques favorise la prise en compte des différents styles d'apprentissage et rythmes cognitifs, constituant ainsi un puissant vecteur d'inclusion pour les personnes présentant des troubles de l'apprentissage ou des parcours académiques discontinus.

Accessibilité psychosociale : Pour certains individus marqués par des expériences scolaires traumatisantes ou des phobies sociales, l'entrée progressive dans le collectif via des phases distancielles représente une rampe d'accès psychologique essentielle.

Le continuum présence-distance : vers une écologie de l'apprentissage

Comme le souligne la Direction Générale de l'Administration et de la Fonction Publique (DGAFP), une action de formation professionnelle est hybride lorsqu'elle associe, dans le cadre d'un parcours pédagogique cohérent, différentes modalités de formation : en présentiel, à distance et en situation de travail. Cette conception systémique de la formation peut être conceptualisée comme une véritable écologie de l'apprentissage, où s'articulent différents biotopes formatifs.

Dans cette perspective écologique, chaque modalité trouve sa pertinence selon les objectifs poursuivis :

Le présentiel pour les activités nécessitant une haute densité sociale et émotionnelle
Le distanciel synchrone pour les phases de régulation collective et de travaux collaboratifs structurés
Le distanciel asynchrone pour l'appropriation individuelle des contenus théoriques
Les situations de travail pour l'expérimentation et l'ancrage des compétences

Cette écologie formative rejoint les préceptes de la théorie des situations didactiques, en créant des milieux d'apprentissage diversifiés où l'apprenant peut développer différentes facettes de ses compétences selon des modalités adaptées.

La personnalisation comme clé de l'engagement et de la réussite

Comme le précise Flowbow, l'hybridation ouvre des possibilités inédites en matière de pédagogie différenciée. Par l'utilisation de tests de positionnement, il devient possible d'adapter finement les parcours selon les niveaux de compétences préalables des apprenants (débutant, intermédiaire, avancé, expert).

Cette personnalisation s'avère cruciale pour maintenir la motivation et favoriser l'engagement des apprenants. En effet, "un apprenant peut avoir un niveau débutant dans un module et un niveau avancé dans un autre". Cette granularité dans l'adaptation des parcours permet d'éviter deux écueils majeurs : l'ennui face à des contenus déjà maîtrisés ou la démotivation face à des défis inaccessibles.

Cette approche sur-mesure constitue un puissant levier pour lever les freins à l'emploi liés aux inégalités de parcours antérieurs et aux disparités de niveaux initiaux. Elle permet notamment de valoriser les acquis de l'expérience tout en ciblant précisément les compétences à développer.

Les défis anthropotechniques de l'hybridation lié à la formation et aux emplois

Si les promesses de l'hybridation sont considérables, leur matérialisation se heurte à des défis significatifs. L'acculturation au numérique constitue un prérequis souvent implicite qui, paradoxalement, peut renforcer certaines fractures sociales si elle n'est pas explicitement prise en charge dans le dispositif formatif.

Un risque particulier, identifié par Flowbow, est celui de la "zoomification" - cette tendance à transposer mécaniquement des formats présentiels longs vers des classes virtuelles, sans adaptation pédagogique. "7 heures de présentiel ne doivent pas être égales à 7 heures de classe virtuelle !" Cette mise en garde rappelle l'importance d'une véritable ingénierie pédagogique adaptée aux spécificités de chaque modalité.

La conception d'interfaces numériques véritablement inclusives représente également un enjeu majeur, nécessitant une approche de design universel qui dépasse la simple accessibilité technique pour atteindre une réelle utilisabilité par tous.

Une politique publique de l'hybridation inclusive

Pour que l'hybridation de la formation réalise pleinement son potentiel d'inclusion et de levée des freins à l'emploi, une articulation fine avec les politiques publiques s'avère nécessaire. Le schéma directeur de la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de l'État, évoqué par la DGAFP, constitue un exemple significatif d'une telle démarche.

Plusieurs leviers d'action émergent pour généraliser cette approche :

L'instauration d'un droit à la connectivité formative, garantissant à chaque apprenant l'accès aux équipements et à la connectivité nécessaires.
Le développement de tiers-lieux formatifs offrant des espaces hybrides conjuguant ressources numériques et accompagnement humain de proximité.
La conception de référentiels de certification adaptés à l'hybridation, intégrant explicitement la validation de compétences acquises selon diverses modalités.
L'intégration des parcours hybrides dans les dispositifs de financement public de la formation, avec des modèles économiques adaptés.

Vers une formation anthropocène

L'hybridation de la formation, lorsqu'elle est pensée dans une perspective d'inclusion et d'accessibilité, représente bien plus qu'une évolution technique : elle constitue un changement de paradigme vers ce que nous pourrions nommer une "formation anthropocène", consciente de son impact sur les écosystèmes sociaux et attentive à la diversité des parcours humains.

En transcendant les dichotomies traditionnelles entre savoirs théoriques et pratiques, entre présentiel et distanciel, entre autonomie et guidage, cette approche ouvre la voie à une formation véritablement émancipatrice, capable de s'adapter aux mutations rapides de notre époque tout en préservant les fondamentaux humanistes de l'éducation.

La levée des freins à l'emploi par l'hybridation ne se résume donc pas à une simple question d'accessibilité technique, mais implique une reconfiguration profonde de notre conception même de l'apprentissage et de son rôle dans la construction d'une société plus inclusive.